Pour en finir avec le 4¢/kWh
Un éditorial de Jean-François Samray, Président-directeur général de l'AQPER
La rigueur et la durée de l’hiver 2013-2014 font que les Québécois s’en souviendront longtemps. À titre de dirigeant du secteur des énergies renouvelables, c’est la remontée fulgurante des prix de l’électricité sur les marchés de la Nouvelle-Angleterre qui restera gravée dans ma mémoire, puisqu’elle nous permettra d’en finir avec le 4¢/kilowattheure. Ceci dit, il faut savoir que le marché de la Nouvelle-Angleterre au cours de cette période était encore moins lucratif que celui des zones NY et PJM, où on a demandé que soit levée la restriction de limiter les offres à 100 $US/MWh. Certains prix ont même atteint près de 3000 $.
Tout commence avec les grands froids de décembre. La capacité limitée des infrastructures gazières de la Nouvelle-Angleterre peine à fournir à la demande combinée de la chauffe domestique (qui a un droit prioritaire sur le gaz) et de l’alimentation des centrales de production électrique, ce qui pousse le prix de la molécule de méthane à la hausse. Le prix moyen mensuel de l’électricité sur le marché à terme 1 jour DAM suivra et terminera à 92,96 $US/MWh.
Le mois de janvier arrive. Les grands froids perdurent et maintiennent leur impact sur le prix du gaz naturel et de l’électricité. La moyenne du mois s’établira à 168,81 $US/MWh.
Février s’amène et le froid demeure glacial. Les prix de l’électricité sur le DAM ? Toujours aussi élevés, à 156,02 $US/MWh. Le climat et les prix ne changent pas au cours des premières semaines de mars. La dernière semaine de l’hiver, le prix est à 94,84 $US/MWh, de sorte qu’une estimation des prix obtenus semaine après semaine laisse présager une moyenne d’environ 160 $US/MWh pour l’hiver 2013-2014.
Ces chiffres ne tiennent compte que de la composante énergie pour toutes les heures de la journée, alors qu’Hydro-Québec ne vend que durant les périodes de pointe, donc à des prix supérieurs à la moyenne. Il y a aussi la dimension puissance et le marché des attributs environnementaux, qui peut rapporter une prime allant jusqu’à 65 $US/MWh dans plusieurs États de la Nouvelle-Angleterre !
Avec un tel départ, on a tout lieu de penser que le prix moyen pour l’année 2014 sera plus élevé qu’en 2013 (56,06 $US/MWh). L’effondrement des marchés à un creux historique de 36,09 $US/MWh (en 2012) aura été de courte durée. La remontée du prix est notamment attribuable à la réduction des réserves américaines de gaz naturel au cours des deux dernières années, à l’installation de nouvelles centrales thermiques au gaz naturel, à l’accroissement de la demande qui en découle, et au fait que les investissements dans les infrastructures de transport du gaz n’ont pas suivi. La demande plus grande et l’offre inchangée (voire réduite) ont fait monter le prix du gaz et, par conséquent, celui de l’électricité.
Le développement de l’industrie gazière américaine se poursuit. Toutefois, les tensions géopolitiques en Crimée et la volonté américaine de s’affirmer comme super puissance énergétique font en sorte que plusieurs terminaux de liquéfaction (destinés à l’exportation) sont en construction ou en phase d’autorisation. Cette situation permettra aux producteurs de gaz de schiste d’obtenir un prix qui couvre au moins leurs coûts de production, soit environ 4,25 $/MMbtu, correspondant approximativement au prix actuel.
Somme toute, la volonté américaine de réduire les GES émis par la production électrique (conversion charbon vers gaz et renouvelables) combinée avec le prix du gaz naturel aura, selon toute vraisemblance, un impact à la hausse sur le prix de l’électricité sur les marchés américains limitrophes au Québec. C’est une bonne nouvelle pour les énergies renouvelables québécoises, car cela marque la fin du kWh à 4¢, argument si cher à nos détracteurs. Comme le disent nos voisins du sud : « The best is yet to come! » •
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