L'indépendance énergétique n'est pas pour demain
François Normand
Les Affaires
30 mars 2013 - Hydroélectricité, gisements éoliens, biomasse, biogaz, gaz naturel, pétrole. Le Québec regorge de ressources énergétiques. À tel point que les plus optimistes prédisent son indépendance énergétique. Pourrons-nous suivre l'exemple des États-Unis, qui cesseront d'importer de l'énergie dès 2035, selon l'Agence internationale de l'énergie ?
«Le Québec ne doit pas hésiter à exploiter son propre potentiel pétrolier. Imaginez un instant si la province réduisait ses importations de brut de moitié en y substituant de l'énergie d'ici», déclarait l'automne dernier Pauline Marois. Comme le président américain Barack Obama, la première ministre du Québec rêve d'indépendance énergétique. Un rêve illusoire, disent les analystes. Le Québec ferait mieux de valoriser ses ressources énergétiques pour créer de la richesse.
Ce faisant, il pourrait s'inspirer de la Norvège, selon certains analystes. Ce petit pays de 4,7 millions d'habitants regorge de vastes ressources énergétiques. Comme au Québec, 91 % de l'électricité qui y est consommée provient de centrales hydroélectriques, selon le World Factbook de la CIA, l'agence américaine de renseignement. Et si l'on tient compte des autres filières renouvelables, 93 % de l'électricité de la Norvège est verte. Un niveau similaire à celui du Québec, selon les statistiques du ministère québécois des Ressources naturelles.
Là s'arrête toutefois le parallèle entre la Norvège et le Québec. Car le pays scandinave est aussi un important producteur de pétrole (14e du monde) et de gaz naturel (7e du monde), même s'il ne consomme qu'une faible partie de ces hydrocarbures - il importe même un peu de pétrole et d'électricité ! Ce pays ne vise donc pas l'indépendance énergétique.
En 2011, la Norvège exportait 88 % de sa production de pétrole (1,9 million de barils par jour) et 95 % de sa production de gaz naturel (103,1 milliards de mètres cubes). Le Québec devrait-il en faire autant et exploiter ses ressources pétrolières et gazières même si le marché québécois est relativement petit ? Les avis sont diamétralement opposés, dans un contexte où le gouvernement péquiste commence à réfléchir à la prochaine stratégie énergétique du Québec.
Jean-Marc Carpentier, analyste en énergie, est formel : le Québec aurait tout à gagner à s'inspirer de la Norvège. «Nous devons dissocier la production d'énergie de la consommation d'énergie, comme le font les Norvégiens», dit ce spécialiste en énergie, qui a participé aux travaux du gouvernement du Québec ayant mené à l'élaboration des stratégies énergétiques de 1992 et de 1996.
Selon lui, il n'y aurait pas de contradiction pour le Québec à poursuivre son développement hydroélectrique et éolien ainsi qu'à lancer d'ambitieux programmes d'efficacité énergétique, tout en valorisant ses ressources pétrolières et gazières. «C'est ce que font les Norvégiens. Ils optimisent le développement de leurs ressources énergétiques, même si le pays n'a pas de marché local.»
Des entreprises québécoises rêvent déjà du modèle norvégien, comme Pétrolia, une pétrolière de Rimouski. «Nous estimons que le Québec regorge d'assez de pétrole pour répondre à long terme à ses besoins et pour exporter ses surplus», dit son président, André Proulx. Selon lui, une industrie locale verrait le jour, comme à Terre-Neuve. La PME détient un gisement sur le territoire de la ville de Gaspé, mais le projet est sur la glace pour l'instant en raison de l'opposition de la municipalité, qui craint pour son eau potable.
Une préoccupation pour l'environnement qui teinte aussi le débat sur l'éventuelle production de gaz de schiste, dans la vallée du Saint-Laurent. Pour l'instant, Québec a imposé un moratoire sur l'exploitation de cette ressource tant et aussi longtemps que le comité sur l'Étude environnementale stratégique (ESS), mandaté en mai 2011 par l'ancien gouvernement pour évaluer les impacts socioéconomiques et environnementaux, n'aura pas remis ses rapports finaux. Le comité devrait avoir terminé ses travaux d'ici la fin de l'année.
Réduire les importations de pétrole
La valorisation des ressources énergétiques du Québec implique une réduction importante de nos importations de pétrole, affirment la douzaine d'analystes à qui nous avons parlé. «Ces importations ont un impact négatif sur la balance commerciale du Québec en plus de générer des GES et de la pollution dans la province», affirme Steven Guilbeault, cofondateur et directeur principal, choix collectifs, chez Équiterre.
L'an dernier, le Québec a importé pour 13,7 milliards de dollars de produits pétroliers, de loin notre principal poste d'importation, ce qui représente 16 % de tous les achats de la province à l'étranger, selon l'Institut de la statistique du Québec. De plus, ces achats de pétrole représentaient 62 % du déficit de la balance commerciale québécoise en 2012, ce qui est considérable.
Selon Steven Guilbeault, le Québec ne doit toutefois pas se lancer tête baissée dans l'exploitation de ses ressources pétrolières pour compenser une baisse de ses importations, comme le souhaite le gouvernement Marois. Il propose plutôt que la province appuie sur l'accélérateur pour valoriser encore davantage ses sources d'énergies renouvelables, sans négliger l'efficacité énergétique.
Selon une étude d'Équiterre publiée en 2011, l'économie québécoise pourrait se «libérer» du pétrole dès 2030. Comment ? En réformant l'aménagement du territoire québécois (pour stopper l'étalement urbain notamment), en bonifiant l'offre de transport en commun ainsi qu'en améliorant la performance des véhicules et des carburants. Trois mesures qui permettraient de réduire de 60 % la consommation dans le secteur du transport de personnes.
Un projet beaucoup trop optimiste, qui ne tient pas compte des grandes tendances mondiales, estime Carol Montreuil, vice-président pour l'Est du Canada de l'Association canadienne des carburants. «Le Québec n'est pas à la veille de diminuer de manière importante sa consommation de pétrole. En 2035, le transport dans le monde sera encore alimenté à 90 % par le pétrole». C'est ce que prédisent le ministère américain de l'Énergie, l'Agence internationale de l'énergie et la Statistical Review of World Energy, publiée chaque année par la pétrolière BP.
Et cette proportion sera encore plus forte au Canada. En 2035, les carburants liquides à base de pétrole répondront à 92 % de la demande d'énergie en matière de transport, selon l'Office national de l'énergie. Pour Carol Montreuil, on surestime la place que prendront les véhicules électriques dans les prochaines années. «La Californie avait un projet au tournant des années 1990, qui devait porter à 4 ou 5 % le pourcentage des voitures fonctionnant à l'électricité en 2004. Ils n'y sont pas arrivés, car la technologie n'était tout simplement pas au rendez-vous.» Le Québec s'est doté de la même cible de véhicules électriques d'ici 2020.
Par ailleurs, Carol Montreuil ne croit pas non plus que le Québec soit sur le point de produire du pétrole à grande échelle. Un avis partagé par Jean-Thomas Bernard, spécialiste en énergie à l'Université d'Ottawa, qui souligne qu'on ne sait pas vraiment s'il y a du pétrole dans le golfe du Saint-Laurent. «Il n'y a pas eu encore de forage pour le prouver !» Et si jamais on en y trouvait, cela prendrait une dizaine d'années avant que cette ressource soit commercialisée à grande échelle.
C'est pourquoi les économies d'énergie sont la clé pour réduire à court terme la dépendance du Québec au pétrole, affirme Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal. «Il faut plus de transport en commun, plus de petites voitures, plus de covoiturage», dit-il. Et l'électrification des transports publics, comme le propose le gouvernement Marois ? «De la poudre aux yeux ! L'électrification ne va pas augmenter l'offre de transport en commun. À court terme, c'est malhonnête de présenter cela comme une solution.»
Là encore, les avis sont tranchés. Jean-François Nolet, vice-président des politiques et des affaires gouvernementales à l'Association canadienne de l'énergie éolienne, est en désaccord et affirme qu'on peut électrifier, à l'instar de certains pays européens, le transport léger, individuel et collectif, comme les trains de banlieue. «Il y a tout un chantier pour éliminer la consommation de pétrole dans ce secteur», dit-il.
Pas facile d'électrifier, à cause du gaz
Gaëtan Lafrance, spécialiste en énergie et professeur honoraire à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), pense aussi qu'on peut accroître la part de l'électricité dans le bilan énergétique du Québec, qui est de 40 %. «Il nous faudrait par exemple un vaste programme pour remplacer le gaz naturel dans le secteur commercial.»
Et pourquoi ne pas vendre davantage notre électricité aux entreprises qui viennent s'établir au Québec, dans un contexte où les prix à l'exportation d'Hydro-Québec sont en déclin, propose Gilles Lefrançois, fondateur d'Innergex (un producteur d'énergie renouvelable) et aujourd'hui administrateur de sociétés. «Si l'on vend l'électricité en dessous du prix courant aux États-Unis, mieux vaut la donner aux grandes entreprises consommatrices d'énergie ici. Je suis certain qu'on y gagne au change», dit-il.
Une récente étude de l'Association québécoise des consommateurs industriels d'électricité semble confirmer que la société québécoise sort gagnante d'une telle stratégie. En 2011, Hydro-Québec a obtenu un prix moyen de 4,6 cents le kilowattheure pour ses exportations. Or, en vendant cette énergie aux industries du Québec, l'ensemble de la société a obtenu l'équivalent de 16,4 ¢ le kWh en masse salariale, en achat d'électricité, en matières premières ainsi qu'en biens et services liés à l'exploitation courante.
Jean-Marc Carpentier et Jean-Thomas Bernard critiquent vertement cette approche, où l'on vend aux industries notre électricité sous le coût de production marginal d'Hydro-Québec.
Selon Gaëtan Lafrance, il ne faut toutefois pas s'attendre à des conversions massives à l'électricité dans les secteurs commercial et industriel. Les prix du gaz naturel sont si bas en Amérique du Nord - une tendance qui durera au moins 15 ans, selon l'Agence internationale de l'énergie - que les entreprises préféreront utiliser cette source d'énergie. C'est pourquoi, selon lui, le Québec doit se tourner vers la production de gaz, si on peut l'exploiter de manière sécuritaire.
Le Québec profiterait aussi plus rapidement des retombées de la valorisation du gaz naturel qui, contrairement au pétrole, peut être commercialisé plus rapidement, d'autant plus que les réserves sont prouvées. Le gouvernement engrangerait rapidement des redevances et des impôts de cette activité.
Une nouvelle industrie, avec beaucoup d'acteurs extérieurs comme l'albertaine Questerre Energy, verrait aussi le jour dans la province. En Alberta, les retombées annuelles de l'exploitation du gaz naturel sont estimées à 1,5 G$, selon Michael Binnion, président et chef de la direction de Questerre Energy.
Avec une dette publique élevée et une population vieillissante, deux facteurs qui limitent le potentiel de croissance du Québec, beaucoup d'observateurs estiment que nous pouvons difficilement nous payer le luxe de ne pas valoriser notre gaz naturel. C'est notamment le cas de la patronne de Gaz Métro, Sophie Brochu. Dans un récent discours devant la Chambre du commerce du Montréal métropolitain, elle a indiqué que ces nouvelles sources de revenus aideraient le gouvernement à financer les programmes sociaux et l'éducation.
Et l'éolien ?
Le Québec peut aspirer à une plus grande prospérité en misant avant tout sur son immense potentiel éolien.
Pas besoin de recourir aux énergies fossiles, surtout le pétrole, affirme Bernard Saulnier, qui a été chercheur à l'Institut de recherche d'Hydro-Québec (de 1977 à 2006). «Pour moi, voir aller le Québec vers le pétrole, c'est comme un mauvais rêve... Ce n'est pas le moment de le faire, alors que nous avons un gisement faramineux pour l'énergie éolienne», dit ce spécialiste dans l'intégration de l'énergie éolienne au réseau électrique.
Coauteur avec Réal Reid de L'éolien au coeur de l'incontournable révolution énergétique, Bernard Saulnier rappelle que le Nord-du-Québec a un potentiel éolien de 100 000 mégawatts, soit plus de deux fois la puissance installée d'Hydro-Québec, comme l'ont démontré des recherches effectuées par des services météorologiques d'Environnement Canada, au début des années 2000.
Un potentiel éolien que le gouvernement du Québec doit absolument développer, affirme Jean-François Samray, pdg de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable. «Le couplage hydroélectricité-éolien est une stratégie porteuse pour le Québec», dit-il. À ce jour, trois appels d'offres ont été lancés, pour une puissance installée qui totalisera à terme de 3 300 MW. Un quatrième appel d'offres de 700 MW pourrait être lancé sous peu. Ce qui permettrait d'atteindre la cible de 4 000 MW, ou 10 % de la puissance installée d'Hydro-Québec.
Des entreprises prévoient le pire
Mais le temps presse, et l'industrie commence à s'impatienter, des entreprises prévoyant même le pire. «Si en 2015, il n'y a pas d'autres projets d'éoliens sur la table, c'est clair qu'il y aura des fermetures d'usines», laisse tomber Patricia Lemaire, directrice des affaires publiques et des communications chez Boralex, un producteur d'énergie renouvelable de Kingsey Falls. Boralex a formé un consortium avec Gaz Métro pour développer des parcs éoliens dans la Seigneurie de Beaupré, au nord-est de Québec.
Il ne faut pas oublier le potentiel des biogaz (issus de la décomposition des matières dans les sites d'enfouissement), une autre ressource intéressante à valoriser, soutient Jean-François Samray. Le biogaz peut servir à la production de chaleur directe, à la cogénération électricité/chaleur, sans parler de carburant dans le transport.
«On pourrait par exemple alimenter avec du biogaz tous les camions affectés aux sites d'enfouissement dans la grande région de Montréal», dit-il. Selon lui, la valorisation de cette ressource pourrait créer des milliers d'emplois dans plusieurs régions du Québec. «Le modèle à suivre, c'est la Suède. C'est un laboratoire pour l'utilisation du biogaz», dit-il. Cela dit, on produit déjà de l'électricité à partir de biogaz à Montréal, notamment avec le projet Gazmont, propriété de Biothermica Technologies, qui produit 25 MW d'électricité à l'ex-Carrière Miron.
Quelles politiques industrielles ?
Peu importe les ressources énergétiques que les Québécois décideront de valoriser dans les prochaines années, ils doivent le faire en s'appuyant sur de bonnes politiques industrielles, prévient Vincent Trudel, vice-président à l'exploitation chez Marmen, spécialisée dans l'usinage de haute précision pour plusieurs industries, dont l'énergie (éolien, pétrole, gaz naturel).
«Le gouvernement ne doit surtout pas imposer des exigences de contenus locaux», une politique qui force les entreprises à produire ou à assembler une bonne partie de leur équipements localement, déplore l'industriel.
Par exemple, dans le secteur québécois de l'éolien, 60 % des coûts des projets doivent être engagés au Québec, dont 30 % dans la région de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. C'est pourquoi Marmen a implanté une usine de tours à Matane, son chef-lieu étant Trois-Rivières. Selon Vincent Trudel, ce type de politique est à double tranchant : si elle crée des emplois locaux, elle ferme en contrepartie des marchés à nos entreprises hors du Québec. «L'Ontario a adopté la même politique d'un minimum de contenu local pour son développement éolien, et maintenant nous ne pouvons plus vendre nos équipements éoliens dans cette province !»
QUI CONSOMME DU GAZ NATUREL AU QUÉBEC ?
Industriel 42,8 %
Commercial 42,1 %
Résidentiel 13,2 %
Transports 1,9 %
Source : ministère des Ressources naturelles du Québec
LEXIQUE
Indépendance énergétique
L'indépendance énergétique est cette idée qu'il faut produire de l'énergie seulement en fonction de nos besoins et importer un minimum d'énergie pour maximiser les retombées économiques. Dans cette optique, la lutte aux émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques est vue avant tout comme un enjeu local.
Valorisation des ressources
La valorisation des ressources énergétiques mise avant tout sur la production d'énergie pour créer de la richesse, que cette énergie soit consommée localement ou exportée. Dans cette optique, la lutte aux émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques est vue avant tout comme un enjeu continental, voire mondial.
Sources : Entrevues, Les Affaires
PRINCIPAUX ACTEURS DANS LE SECTEUR ÉNERGÉTIQUE AU QUÉBEC
PÉTROLE ET GAZ NATUREL
Importateurs et raffineurs de pétrole
Suncor Énergie
Ultramar
Explorateurs gaz et pétrole
Pétrolia
Junex
Distributeur de gaz
Gaz Métro
Distributeurs de pétrole
Shell
Esso
Importateur de pétrole
Norcan
HYDROÉLECTRICITÉ
Producteurs
Hydro-Québec
Innergex
Boralex
Équipementiers
Voith Canada
Alstom
ÉOLIEN
Producteurs d'énergie
Cartier Énergie Éolienne
(Innergex, TransCanada)
EDF
Équipementiers
Marmen (photo)
Repower
Enercon
BIOMASSE
Producteurs d'énergie
Kruger
Biothermica Technologies
EDF
Ingénierie
Genivar
Service-conseil
Activa Environnement
BIOGAZ
Distributeur de gaz
Gaz Métro
Génie-conseil
Electrigaz
Producteur d'énergie et de service
Biothermica Technologies
Équipementiers
Bio-Méthatech
Gas Drive
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